Patrice L’Huilier à la tête de Nimba Mining : entre continuité coloniale et espoir de rupture
La Guinée vient d’inscrire un nouveau chapitre dans sa longue histoire minière, marquée autant par les espoirs de développement que par les blessures de la dépendance. Le 11 septembre 2025, le Français Patrice L’Huilier a été désigné directeur général de Nimba Mining, société publique créée pour reprendre les actifs laissés vacants par Guinea Alumina Corporation (GAC), filiale d’Emirates Global Aluminium (EGA), partie du pays en juillet dernier.
Sur le papier, l’annonce se veut rassurante : assurer la continuité des activités, maintenir les emplois, protéger les recettes fiscales et affirmer la souveraineté de l’État sur un secteur stratégique. Mais si l’on gratte un peu la surface, cette nomination soulève davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Une vieille histoire qui se répète
Patrice L’Huilier n’est pas un inconnu dans le milieu. Ancien de Péchiney, multinationale française installée dès les premières années de l’indépendance à Friguia, il traîne derrière lui plus de trois décennies d’expérience dans l’industrie extractive. Ses missions l’ont conduit du Gabon au Congo, du Cameroun au Kazakhstan. Un CV bien fourni, certes, mais qui incarne surtout cette logique où les élites étrangères pilotent des richesses africaines sans que les populations locales en ressentent les véritables retombées.
En le plaçant à la tête de Nimba Mining, l’État guinéen donne le sentiment de prolonger une dépendance séculaire : celle qui consiste à confier la gestion de nos mines à des mains extérieures, au nom d’une expertise que l’on refuse d’investir dans la jeunesse et les compétences locales.

Le poids de GAC et la transition fragile
Il faut rappeler que GAC représentait un mastodonte dans la filière bauxite : près de 12 millions de tonnes exportées chaque année, un port minéralier moderne à Kamsar, et surtout un investissement de plusieurs milliards de dollars. Son retrait brutal a laissé derrière lui un vide inquiétant, faisant planer la menace d’une crise sociale et économique dans la région de Boké, déjà fragilisée par les inégalités et les tensions environnementales.
Nimba Mining, héritière de ce géant, a donc une lourde tâche : rassurer les travailleurs, stabiliser les flux financiers de l’État et prouver qu’une société publique peut rivaliser avec les multinationales. Mais confier ce défi à un expatrié français, est-ce vraiment un signe d’émancipation nationale, ou simplement une reconduction du modèle néocolonial sous une autre étiquette ?
La souveraineté industrielle : un mot ou un projet ?
Les autorités ne cessent de marteler une priorité : transformer la bauxite localement. C’est une revendication historique des mouvements sociaux et des syndicats guinéens, qui dénoncent depuis des décennies l’exportation brute de notre sol, sans valeur ajoutée, sans chaîne industrielle locale, sans emplois qualifiés pour la jeunesse.
La mission affichée de Nimba Mining s’inscrit dans ce discours : créer plus que de simples revenus d’exportation, bâtir une filière intégrée, diversifier l’économie et consolider la souveraineté industrielle. Mais là encore, les intentions se heurtent à la réalité : quelles infrastructures existent pour la transformation ? Quels investissements l’État est-il prêt à engager ? Quelle place sera faite aux ingénieurs et travailleurs guinéens dans la gouvernance et la stratégie ?

Entre méfiance et vigilance citoyenne
Il serait injuste de condamner Patrice L’Huilier avant même son entrée en fonction. Son expérience peut être utile, à condition qu’elle serve une vision nationale et non la reproduction de rapports de domination. Mais l’histoire nous a appris à être prudents : trop souvent, les discours officiels cachent la perpétuation d’un système où la Guinée reste simple fournisseur de matières premières au service de l’étranger.
Aujourd’hui, la balle est dans le camp des autorités, mais aussi dans celui des citoyens. Il ne suffit pas de célébrer la « souveraineté minière » dans les communiqués : il faut un contrôle populaire, une exigence de transparence et une réelle implication des communautés locales dans la gestion de leurs richesses.
La nomination de Patrice L’Huilier symbolise cette tension permanente : entre la volonté de rompre avec le passé et la tentation de reproduire les schémas anciens. Nimba Mining pourrait devenir l’outil d’une véritable transformation nationale, ou se réduire à un simple relais de l’extraction coloniale, maquillée en entreprise publique.
Pour les activistes et les citoyens engagés, le message est clair : la vigilance s’impose plus que jamais. Car l’avenir de la Guinée ne se joue pas seulement dans les bureaux climatisés de Conakry ou dans les CV dorés d’experts étrangers, mais dans la capacité du peuple à revendiquer la justice sociale, la souveraineté réelle et le droit de profiter pleinement des richesses de son sol.
