De 1958 à l’ère Doumbouya : la Guinée entre souveraineté et dépendances masquées
1958 : Le « Non » de la dignité
L’histoire contemporaine de la Guinée commence véritablement le 28 septembre 1958. Ce jour-là, face au référendum proposé par le général de Gaulle, la population guinéenne dit massivement « Non » à l’intégration dans la Communauté française. Le leader Sékou Touré proclame alors l’indépendance totale du pays, marquant une rupture brutale avec Paris.
Ce refus, inédit en Afrique francophone, coûte cher : la France riposte par une politique de représailles systématiques. Les enseignants, techniciens et fonctionnaires français quittent la Guinée, les archives et dossiers administratifs sont détruits, les structures de base démantelées. L’objectif est clair : montrer aux autres colonies qu’un « Non » entraîne la misère et l’isolement.
Pourtant, malgré ces obstacles, la Guinée devient un phare de résistance. Elle attire le regard des peuples africains encore colonisés, qui y voient un exemple de courage face à la puissance coloniale.
2021 : Le coup d’État de Mamady Doumbouya
Soixante-trois ans après, en septembre 2021, le colonel Mamady Doumbouya renverse Alpha Condé. Cet événement est présenté comme une libération après les dérives autoritaires du président déchu. Mais au-delà de l’enthousiasme initial, des interrogations surgissent rapidement.
Doumbouya n’est pas un militaire « sorti de la terre » guinéenne. Il a été formé en France, a servi dans la Légion étrangère, et conserve de solides réseaux avec les cercles militaires occidentaux. Cette trajectoire nourrit un doute profond : la France, humiliée en 1958 par le rejet guinéen, n’aurait-elle pas trouvé en lui un moyen de rétablir une influence discrète dans un pays historiquement rebelle ?

Les signes d’une influence française
Plusieurs faits alimentent cette suspicion.
Formation et carrière militaire : Doumbouya a été façonné par les écoles françaises, où il a appris les doctrines militaires occidentales. Contrairement à Sékou Touré qui portait une vision idéologique d’émancipation, son parcours le rattache à un système extérieur.
Relations diplomatiques : après sa prise de pouvoir, les signaux de rapprochement entre Conakry et Paris ont été plus fluides qu’avec Alpha Condé, dont la posture était souvent marquée par la méfiance vis-à-vis de la France.
Gestion des ressources : la Guinée détient l’une des plus grandes réserves mondiales de bauxite. Les entreprises françaises et européennes surveillent de près l’évolution du régime. Certains analystes estiment que la stabilité apportée par Doumbouya sert d’abord les intérêts étrangers avant de répondre aux besoins du peuple guinéen.
Communication politique : Doumbouya utilise un discours de souveraineté et de fierté nationale, mais ses actes peinent à convaincre. Cette contradiction rappelle la stratégie de nombreux dirigeants africains présentés comme « patriotes » tout en étant étroitement liés aux réseaux de l’ancienne puissance coloniale.
Une revanche française sur le « Non » de 1958 ?
La comparaison est frappante. En 1958, la Guinée impose sa volonté à la France, au prix de lourds sacrifices. En 2021, beaucoup de Guinéens ont l’impression que Paris a pris sa revanche en plaçant, à travers Doumbouya, un relais d’influence là où elle avait perdu le contrôle.
Certains vont jusqu’à dire que le coup d’État du 5 septembre a été toléré, voire encouragé, parce qu’il permettait de replacer la Guinée dans une orbite compatible avec les intérêts français et occidentaux. Ainsi, ce qui avait été perdu en 1958 par la brutalité de la rupture, pourrait être retrouvé aujourd’hui par une stratégie plus subtile.
La Guinée face à son destin
La question reste ouverte : Mamady Doumbouya est-il réellement l’homme du peuple ou le maillon d’une longue chaîne d’influences étrangères ? Son régime est encore jeune, mais déjà, une partie de la population redoute que le rêve de souveraineté porté par Sékou Touré ait été trahi.
L’histoire guinéenne illustre une vérité amère : l’indépendance politique ne garantit pas la liberté réelle. En 1958, la Guinée a dit non à la France. En 2021, beaucoup craignent qu’à travers Doumbouya, c’est la France qui ait trouvé le moyen de dire non à la Guinée.