L’arrestation d’espions au Burkina Faso : entre droit, sécurité nationale et souveraineté
Les récentes arrestations pour espionnage au Burkina Faso ne sont pas qu’un fait divers diplomatique. Elles s’inscrivent dans un cadre juridique précis, où se croisent le droit pénal national, les règles de la sécurité d’État, et les principes du droit international. Mais comment la loi définit-elle un “espion” ? Et jusqu’où un État peut-il aller pour protéger ses secrets ?
L’espionnage selon le droit burkinabé : une infraction à la souveraineté
Le Code pénal du Burkina Faso, dans son livre consacré aux crimes contre la sûreté de l’État, punit sévèrement tout acte de collecte, communication ou transfert d’informations sensibles au profit d’une puissance étrangère ou d’un organisme extérieur.
Ces infractions sont considérées comme des atteintes à la sécurité nationale, punies de peines de prison pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité, lorsque les faits portent sur des informations militaires ou stratégiques.
Autrement dit, dès lors qu’une personne nationale ou étrangère détient, analyse ou diffuse des données jugées sensibles sans autorisation, elle peut être accusée d’espionnage.
C’est sur cette base que le gouvernement justifie les arrestations récentes de membres de l’ONG INSO, accusés d’avoir collecté des données sécuritaires sans aval officiel.
Les zones grises : ONG, humanitaires ou espions ?
Dans les faits, la frontière entre veille humanitaire et collecte d’informations stratégiques est parfois floue.
Certaines ONG, notamment celles spécialisées dans la sécurité humanitaire (comme INSO), recueillent des données sur les incidents, les déplacements de groupes armés ou les risques régionaux pour protéger leur personnel et orienter les opérations humanitaires.
Cependant, pour un État en guerre ou en tension politique, ces activités peuvent être perçues comme une forme de renseignement parallèle :
“Qui collecte des données sur la sécurité du territoire sans autorisation agit potentiellement contre la souveraineté nationale”, rappellent les autorités burkinabè.
Ainsi, le motif d’espionnage devient à la fois juridique et politique un moyen de contrôler les flux d’informations dans un contexte de méfiance envers les acteurs extérieurs.
Le droit international en toile de fond
Sur le plan du droit international, l’espionnage n’est pas explicitement encadré par un traité mondial.
Chaque pays définit ses propres règles et sanctions.
Cependant, la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (1961) impose aux États de protéger les diplomates étrangers, mais pas les ressortissants civils en cas d’espionnage présumé.
Autrement dit, un étranger arrêté pour espionnage n’a pas droit à l’immunité, sauf s’il fait partie officiellement d’une mission diplomatique.
Les États étrangers peuvent toutefois demander :
L’accès consulaire à la personne détenue (article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, 1963) ;
Une procédure transparente et équitable, conformément aux standards internationaux de justice.
Ces principes servent de base aux protestations diplomatiques lorsqu’un ressortissant est arrêté à l’étranger sous des accusations jugées “politiques”.
Le dilemme burkinabé : sécurité ou transparence ?
Le Burkina Faso justifie ses arrestations par la défense de sa souveraineté et de sa sécurité.
Mais sur le plan juridique, il doit désormais démontrer que :
Les données collectées relevaient effectivement du domaine stratégique ou militaire ;
Les personnes arrêtées ont agi en connaissance de cause, et sans autorisation préalable ;
La procédure respecte les droits de la défense, notamment l’accès à un avocat et la notification des charges.
À défaut, le pays risquerait des critiques sur le respect de l’État de droit et la politisation des procédures.
La loi comme champ de bataille diplomatique
Au-delà du procès judiciaire, c’est un procès d’intention qui se joue :
le Burkina Faso veut affirmer qu’il ne tolère plus d’activités perçues comme intrusives, même sous couvert humanitaire.
Mais cette position, juridiquement fondée sur la souveraineté, pourrait avoir un coût diplomatique élevé si les procédures ne sont pas irréprochables.
Dans ce bras de fer entre raison d’État et transparence juridique, le pays se trouve face à un défi majeur :
montrer que la lutte contre l’espionnage peut se faire dans le respect du droit, sans glisser vers la criminalisation de l’aide internationale.
