Guinée : quand la parole devient un crime
Aujourd’hui parler est devenu un acte de courage en Guinée. Chaque mot prononcé contre le pouvoir peut vous coûter votre liberté, votre sécurité, voire votre vie.
En Guinée, les persécutions politiques, les disparitions forcées et les enlèvements d’activistes de la société civile et de journalistes ne sont plus des rumeurs. Ce sont des réalités, douloureuses et quotidiennes, qui rappellent que notre démocratie vacille sur un fil ténu.
Depuis quelque temps, le climat politique s’est considérablement durci. La transition, qui devait ramener l’espoir d’un État de droit, a au contraire plongé le pays dans une atmosphère de peur et de méfiance. Ceux qui osent dénoncer les dérives du pouvoir ou réclamer la justice sont souvent réduits au silence.
Certains sont arrêtés sans mandat, d’autres disparaissent du jour au lendemain. Les familles restent sans nouvelles, les proches se taisent par crainte de représailles. Je pense notamment à Oumar Sylla, Billo Bah, Aliou Bah, Marouane Camara etc.
Ce qui me frappe le plus, c’est le silence. Ce silence pesant qui entoure chaque disparition, chaque arrestation arbitraire. Comme si, collectivement, nous avions accepté que la violence devienne une manière de gouverner.
Pourtant, derrière chaque individu enlevé, derrière chaque journaliste réduit au silence, il y a une voix, une histoire, un rêve de liberté que l’on tente d’étouffer.
Je pense à toutes ces personnes qui, armés de leur seule conviction, se battent pour une Guinée plus juste. Beaucoup d’entre eux ont été enlevés en pleine nuit, les yeux bandés, sans savoir où on les emmène.
Certains reviennent traumatisés, d’autres ne reviennent jamais. Dans les commissariats et les camps militaires, la loi n’est plus un rempart : elle est devenue une arme au service de la peur.
Les journalistes, quant à eux, travaillent dans des conditions de plus en plus précaires. Les médias indépendants sont muselés, les émissions critiques suspendues, et les reporters menacés. Beaucoup pratiquent désormais l’autocensure pour éviter de subir le même sort que leurs confrères disparus.
Écrire un article, publier une enquête, relayer un témoignage autant de gestes simples qui peuvent désormais vous valoir une convocation ou une disparition.
Je me demande souvent ce que ressentent ceux qui orchestrent cette répression. Pensent-ils vraiment que faire taire une voix suffit à étouffer la vérité ? L’histoire de notre pays montre pourtant que la vérité finit toujours par éclater, même après des années d’oppression.
Mais résister n’est pas sans prix. C’est accepter de vivre avec la peur au ventre, de surveiller ses mots, ses déplacements, ses fréquentations. C’est apprendre à dissimuler son courage pour mieux le préserver.
Pourtant, malgré cette peur, des citoyens continuent de parler, d’écrire, de manifester leur mécontentement. Parce qu’ils savent qu’abandonner, ce serait trahir les générations futures.
La Guinée a connu bien des régimes autoritaires, mais jamais je n’ai ressenti un tel désespoir mêlé d’indignation. Nous pensions que la transition serait une renaissance ; elle est devenue une autre forme de servitude.
Les institutions, censées protéger les citoyens, se sont transformées en instruments d’intimidation. La justice se tait, les droits humains reculent, et la société civile est laissée seule face à la brutalité du pouvoir.
Pourtant, je refuse de céder au pessimisme. Si nos voix s’éteignent, c’est tout un peuple qu’on enterre vivant. Je crois au pouvoir de la vérité, à la force de la solidarité citoyenne.
Je crois aussi qu’aucun régime, si répressif soit-il, ne peut indéfiniment étouffer le souffle d’un peuple en quête de liberté.
Il est temps que la Guinée se regarde en face. Que ceux qui dirigent comprennent qu’on ne bâtit pas une nation sur la peur, mais sur la justice.
Que la sécurité des citoyens ne se négocie pas, qu’elle se garantit. Et que chaque journaliste, chaque activiste, chaque citoyen libre représente une richesse pour le pays, non une menace.
Je rêve encore d’une Guinée où l’on ne disparaît pas pour avoir parlé, où l’on n’est pas enlevé pour avoir écrit, où la vérité ne se cache plus dans les ombres. Une Guinée où la justice retrouvera enfin sa voix et où la peur ne sera plus une politique d’État.
