Nomination des magistrats de la Cour Suprême en Guinée : enjeux cruciaux pour l’indépendance du pouvoir judiciaire
La récente vague de nominations de magistrats à la Cour Suprême de Guinée sous la transition dirigée par Mamady Doumbouya marque, en apparence, un renouvellement institutionnel important.
Pourtant, en creusant un peu, elle pose question : celle de l’indépendance réelle du pouvoir judiciaire face à l’exécutif. En tant qu’auteur de ce billet, je me propose de revenir sur ce phénomène, d’analyser les nominations, puis d’examiner ce que cela dit de la relation entre exécutif et judiciaire, avant de formuler des attentes et alertes pour l’avenir.
Contexte et cadre juridique
La Cour Suprême de Guinée, selon sa présentation officielle, est “chargée de l’unification de la jurisprudence, de la régularité juridique des textes, et de garantir l’équilibre entre l’administration et les individus”.
En matière de nomination des magistrats de cette juridiction, la loi organique prévoit que “les magistrats de la Cour Suprême sont nommés par décret du Président de la République, sur proposition du ministre de la Justice, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature”.
Le cadre légal exige donc une certaine procédure mais dans la pratique, la question est de savoir combien cette procédure se traduit en véritable garantie d’autonomie.
Les récentes nominations : quelques exemples
Sous la transition de Mamady Doumbouya, on retrouve plusieurs décrets de nomination de magistrats qui illustrent la centralité de l’exécutif dans le domaine judiciaire.
On peut citer notamment :
Sidy Souleymane Ndiaye, nommé Procureur général près de la Cour Suprême.
Fodé Bangoura, nommé Premier Président de la Cour Suprême.
Yaya Boiro, nommé Président de la 1ʳᵉ Chambre civile.
Mariama Doumbouya, nommée Présidente de la 2ʳᵉ Chambre civile de la Cour Suprême.
Makoya Camara, nommée Conseillère à la Cour Suprême, précédemment Présidente du Tribunal de première instance de Dixinn.
Ces nominations montrent que l’exécutif ici la Transition dispose directement du pouvoir de nommer les hauts magistrats de la Cour Suprême.
Pourquoi ces exemples illustrent un risque pour l’indépendance judiciaire ?
À mon sens, plusieurs signaux d’alerte se dégagent à partir des exemples ci-dessus :
Concentration du pouvoir de nomination,
Le fait que le président de la transition nomme les magistrats de la Cour Suprême et non uniquement sur proposition indépendante crée une dépendance structurelle.
Même si les textes prévoient l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, la pratique montre que l’initiative est bien de l’exécutif.
Rapidité et ampleur des changements
Le régime a procédé à des vagues de nominations et de retraites de magistrats (par exemple, le décret de 26 magistrats mis à la retraite fin 2024).
Cela peut signifier un brassage important de la magistrature, ce qui affaiblit la stabilité et la permanence des juges au sommet de la hiérarchie judiciaire.
Nomination de profils proches ou redevables
Lorsque les nominations s’inscrivent dans un système où l’exécutif « choisit » ses magistrats, il existe un risque que ceux-ci soient perçus comme redevables au pouvoir politique, ce qui peut affecter leur neutralité et leur capacité à juger l’exécutif ou ses alliés sans crainte.
Absence de garanties d’inamovibilité et d’indépendance réelle
Le droit guinéen prévoit que les magistrats du siège sont “inamovibles dans les conditions déterminées par la loi”.
Mais dans le dispositif guinéen de transition, le nombre important de retraites forcées et de mouvements soulève la question de la réelle sécurité de la carrière et de l’impartialité.
En quoi l’indépendance du pouvoir judiciaire est un levier essentiel
Pour moi, l’indépendance judiciaire est une condition sine qua non de l’État de droit, et elle repose sur plusieurs piliers :
Nomination, statut et garanties : Les magistrats doivent être nommés selon des critères objectifs, et non en fonction de leur relation avec le pouvoir politique.
Ils doivent disposer de garanties d’inamovibilité et de protection contre les sanctions arbitraires.
Séparation effective des pouvoirs : Le judiciaire doit pouvoir exercer son rôle de contrôle sur l’exécutif et le législatif, sans interférence, sans pression ni menace.
Crédibilité, transparence et redévabilité
Le public doit pouvoir avoir confiance dans la justice, ce qui suppose que les nominations, promotions, et sanctions des magistrats soient transparents et motivés.
Protection des droits individuels : Une justice dépendante du pouvoir exécutif ne peut pas efficacement garantir les droits fondamentaux des citoyens, ni contrôler l’exercice du pouvoir public.
Dans un pays comme la Guinée, marquée par des transitions successives, des coups d’État et une fragilité institutionnelle, l’enjeu est d’autant plus grand.
Il ne suffit pas d’annoncer des nominations : il faut que la Cour Suprême joue véritablement son rôle de contre-pouvoir et qu’elle soit perçue comme indépendante.
Mes attentes et recommandations
En tant juriste publiciste, voici ce que j’aimerais voir :
Des critères clairs, publics et objectifs pour les nominations : Les textes doivent être respectés, et les candidatures des magistrats rendues publiques, avec motifs.
Un rôle effectif renforcé du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), non seulement consultatif mais décisionnel dans la sélection et dans la discipline des magistrats.
Garanties supplémentaires d’inamovibilité pour les magistrats de la Cour Suprême, afin de les protéger contre les pressions.
Une transparence dans les mouvements de magistrats (retraites, promotions, affectations) afin de prévenir l’impression d’un « nettoyage » politique de la magistrature.
Une forte culture de jugement de l’exécutif : pour que l’indépendance ne reste pas formelle, mais soit effective, on attend de la Cour Suprême qu’elle puisse, sans crainte, statuer sur des actes de l’exécutif, voire de la transition elle-même, lorsqu’il y a violation du droit.
La nomination des magistrats de la Cour Suprême par le putschiste Mamady Doumbouya constitue un moment charnière.
Elle est l’occasion d’une véritable refondation de la justice, mais elle peut aussi devenir un instrument de légitimation d’un pouvoir s’installant.
En tant qu’auteur de ce blog, je crois qu’il est impératif de ne pas se contenter des annonces : il faudra observer qui est nommé, comment, et surtout avec quelles conditions pour exercer son rôle en toute indépendance.
Le défi pour la Guinée est lancé : faire de sa Cour Suprême un acteur crédible de l’État de droit et non une cour d’exécution du pouvoir. L’avenir de la justice, et donc de la démocratie guinéenne, en dépend.
