De la grandeur du discours à la fragilité de la vision
Le Palais Mohammed V a brillé de mille feux. Caméras, uniformes, tapis rouge, hymnes à la gloire du “leadership visionnaire” du Général Mamadi Doumbouya. Au centre du spectacle : la remise solennelle du “Programme de Développement Socio-Économique Durable et Responsable Simandou 2040”.
Plus de deux cents milliards de dollars promis. Quinze ans d’ambitions. Un pays à refonder. Mais au-delà de la mise en scène, une question dérange : s’agit-il vraiment d’un plan de développement, ou d’un récit de propagande savamment emballé ?

Le culte du chef plutôt que la force des institutions
Le texte officiel ne parle pas d’un projet collectif. Il parle d’un homme. Chaque paragraphe est une louange, chaque phrase une prière. Le président y est dépeint comme la source de toute lumière, l’architecte unique de l’avenir national.
Mais un pays ne se bâtit pas sur la verticalité absolue. Le développement durable exige des institutions solides, pas des hommes providentiels.
Dans cette glorification permanente du pouvoir, la Guinée risque de confondre réforme et obéissance, vision et mise en scène. Or, aucune nation ne s’est libérée par la flatterie.

Des milliards sans fondations
Plus de deux cents milliards de dollars. Le chiffre claque comme un slogan, mais il sonne creux. Le budget annuel de l’État guinéen ne dépasse pas 4 milliards. Où trouvera-t-on cinquante fois plus en quinze ans ? Par quel miracle budgétaire ?
Silence total. Pas un mot sur les sources de financement, ni sur les conditions des prêts ou des partenariats étrangers.
On évoque fièrement une notation “B+” par Standard & Poor’s, mais cette note reste à peine suffisante pour attirer des investisseurs prudents.
La vérité, c’est que ce programme flotte au-dessus du réel.
On promet des milliards quand la moitié des centres de santé manquent de gants. On parle d’industrialisation pendant que les routes rurales se désagrègent.
Simandou, toujours la même rhétorique
Simandou devait être la promesse du siècle. Il devient le miroir de nos contradictions. Le fer de nos montagnes alimente les rêves des puissants, mais laisse nos villages dans la poussière.
Le texte présidentiel parle « d’exemplarité environnementale” mais sur le terrain, la déforestation avance, les rivières se troublent, et les communautés déplacées attendent toujours les compensations promises.
Sous couvert de “durabilité”, c’est le vieux modèle extractiviste qui revient : on creuse, on exporte, on enrichit quelques-uns, on oublie les autres.

Le peuple, grand absent de la “refondation”
Dans le document de la Présidence, on parle de routes, de mines, d’énergie. Mais pas d’humains.
Rien sur la jeunesse au chômage. Rien sur les paysans abandonnés à leur sort. Rien sur les femmes qui portent l’économie informelle à bout de bras.
On parle de “croissance inclusive”, mais sans les citoyens. Comment parler de refondation sans participation ?
Le développement ne se décrète pas depuis un palais. Il se vit dans les écoles, les hôpitaux, les marchés, les champs.
Les Guinéens ne demandent pas des cérémonies, ils demandent du pain, de l’eau, des droits.
Un rêve qui risque de devenir un alibi
Simandou 2040 aurait pu être un pacte national, une boussole collective.
Mais tel qu’il est présenté, il ressemble davantage à une vitrine politique qu’à une feuille de route sérieuse. Un instrument de légitimation plus qu’un moteur de transformation.
La Guinée n’a pas besoin d’un “moment historique” de plus. Elle a besoin de continuité, de transparence, de responsabilité.
Tant que le pouvoir confondra gouverner et paraître, la refondation restera un mot creux.

Simandou 2040 brille par son spectacle, pas par sa substance.
Les discours officiels promettent la “grandeur nationale”, mais les réalités du peuple racontent autre chose : des salaires gelés, des villages oubliés, des jeunes qui rêvent d’exil.
Le développement durable ne se mesure pas à la taille des cérémonies, mais à la dignité retrouvée des citoyens.
La Guinée mérite mieux qu’un décor. Elle mérite un avenir construit avec elle, pas simplement annoncé en son nom.
